Familles. Parenté, maison, sexualité, dans l’ancienne société by Jean-Louis Flandrin

Familles. Parenté, maison, sexualité, dans l’ancienne société by Jean-Louis Flandrin

Auteur:Jean-Louis Flandrin
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions du Seuil
Publié: 2014-06-14T16:00:00+00:00


Au niveau de l’histoire des idées ce renversement paraît s’être opéré dès l’apparition du christianisme : l’Epître aux Ephésiens affirme, on l’a vu, la réciprocité des devoirs dans la relation père-enfants comme dans les autres. Les pères chrétiens ne sont plus pères que par délégation de pouvoir et doivent considérer leurs enfants « comme des dépôts que Dieu leur met entre les mains ». « Pères chrétiens, leur rappelle Dorléans, si Dieu est le premier père de vos enfants, vous n’en êtes à proprement parler que les nourriciers et les gouverneurs. » C’est en vertu de ce principe que la paternité a donné plus de devoirs que de droits. Et dès l’Antiquité les empereurs chrétiens l’avaient marqué en ôtant aux pères le droit de tuer et de vendre leurs enfants. Mais cette logique ne s’était imposée que lentement dans la mentalité des fidèles56. Pendant tout le haut Moyen Age, les infanticides paraissent être restés fréquents, et les théologiens eux-mêmes admettaient si bien que les enfants étaient la chose de leurs parents, qu’ils pensaient que Dieu pouvait punir les parents dans la chair de leurs enfants. Il restait encore, à l’époque moderne, quelques traces de cette ancienne mentalité, entretenue par les leçons de l’Ancien Testament. Jugeons-en par exemple par ce sermon de Claude Joly, évêque d’Agen, prononcé au milieu du XVIIe siècle. « Les enfants sont quelquefois récompensés des vertus de leurs pères et des bons exemples qu’ils ont donné par une vie sainte et édifiante… Salomon, vous le savez, s’abandonna à toutes sortes d’impuretés et d’idolâtrie ; son fils Roboam ne valut pas mieux que lui : cependant, en considération des vertus de David leur père, Dieu maintint Salomon dans son royaume, et de douze tribus, il en conserva deux à Roboam. Mais ces mêmes enfants sont aussi quelquefois punis pour les péchés de leurs pères, et c’est en ce sens que saint Grégoire explique ces paroles de l’Ecriture : Filius portabit iniquitatem patris, le fils portera l’iniquité de son père. On se plaint souvent de la désolation des familles et des malheurs qui y arrivent… On dit que ce sont les maladies et les méchantes affaires de cette famille qui ont mis ces pauvres enfants à l’aumône ; mais si l’on avait de meilleurs yeux, on remonterait plus haut, et l’on verrait que ce sont les péchés des pères que ces enfants portent. Votre père a gagné du bien par des voies injustes, il s’est ingéré dans des partis où il a ruiné le peuple pour établir sa maison… Malheureux enfants, vous en porterez la peine ; le Saint-Esprit l’a dit, et nous en voyons tous les jours de nouveaux exemples, un bien injustement acquis ne passera pas jusqu’à une quatrième génération57. » Dans une société où les privilèges, l’honneur, la richesse et la pauvreté étaient fondés sur la naissance, nul doute que de telles paroles fussent encore comprises.



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